Degrés d’attitude
1995 - 2005
Dix années d’art contemporain
Les métamorphoses de l’archive : extases de la poussière
À force de travailler « l’inframince » (Duchamp) et d’y découvrir des vertiges, des archétypes, des fantômes, des blessures secrètes, des vestiges instantanés, des foyers de mémoire trouble, la photographie de Lionel Fourneaux en était arrivée à une sorte de conclusion (mais le mot est impropre car elle ne conclut et ne referme rien) : tout part et revient au grain. L’archè secrète de l’image, son origine et son destin d’archive, c’est le grain.
Restait à apprendre à défaire et à refaire les liens et les nœuds avec ce sable ou cette poussière. C’était à quoi s’employait cette œuvre : concrétiser une archéologie vivante de la poussière et de la trace.
Mais voilà ! La poussière, partout insinuée, mobilisée, finit par revendiquer. S’il est vrai que nous sortons d’elle pour y retourner, qu’elle est l’alpha et l’oméga, l’avant et l’après, la matière et le destin, les idées (ces idoles de notre pensée) deviennent les jouets d’une tempête vertigineuse. Elle emporte tout du plus petit et du plus grand, ou plutôt, elle effondre l’illusion qu’on peut accéder au plus intime (la microscopie) ou au plus lointain (la télescopie) et jeter un œil sur les atomes, les cellules et les étoiles.
Mais, dans Parabole, Lionel Fourneaux nous dit qu’il a trouvé un œil dans ce cyclone, un espace de clarté calme : une extase. Elle est un peu insituable : est-elle dans le grain de ce sein ou de ces cratères lunaires, dans le tremblement chaud des cellules, dans les éruptions d’énergie, les irruptions de matières ? Dans la gigantomachie de l’énergie cosmique ou l’aventure du spermatozoïde face à sa muraille de Chine à lui ? Est-elle dans son improbable victoire donnant lieu, plus tard, à l’onde floue échographique dans laquelle flotte déjà le fantôme de la vie à venir ? Est-elle dans cette photo de famille, où le ballon étoilé occupe, « hasard » et « prémonition », le « lieu » encore vierge de la reproduction : spirales, structure ADN des représentations, double hélice, musique des sphères ? Est-elle à l’intersection de tout cela ? Mais qu’est-ce que le carrefour de choses aussi hétérogènes sinon précisément, qu’elles ont en commun le désir de la poussière de prendre de l’avance sur son emprise finale (qui était déjà sa déprise, ou sa méprise initiale). Précipitation, désir de réalité, intention : on se dit que la poussière a des songes et que ces songes concernent la vie.
À vrai dire, on aurait pu y penser autrement et par d’autres moyens, mais cette fois-ci, nous avons en quelque sorte des preuves. La poussière a laissé des traces et elle a multiplié les indices qu’il suffit d’aligner en leur donnant de la place, car elle ne sait toute seule créer la place, elle a besoin de nous. Les voilà donc exposés : iconolithes dressés comme pour indiquer le sens du ciel, photographies de rencontre avec le paysage, petits monuments cosmogoniques suspendus, échographies extasiées, cellules rouges comme des soleils couchants. Nous sommes témoins, nous ne sommes rien et pourtant nous sommes les seuls à pouvoir vivre cela et à pouvoir le dire.
Bernard CIER
Le catalogue
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