Degrés d’attitude
1995 - 2005
Dix années d’art contemporain
Ouvrir un caillou
« Je ne puis que nommer les objets. Des signes en sont les représentants. Je ne puis qu’en parler, non les énoncer. Une proposition peut seulement dire comment est une chose, non ce qu’elle est ».
Ludwig Wittgenstein - Tractatus 3. 221.
N’importe quel objet, sujet d’une photographie, reste énigmatique. Chaque lecture, chaque moment en constituent une couche sédimentaire qui énonce plus ses modes et son inscription dans un temps que la chose même. Nous sommes ici devant le fait accompli. Lionel Fourneaux regarde jusqu’à la convulsion la peau des photographies, les pèle pour en interroger le silence. Dans une déclinaison gigogne de formes, de surfaces, de sujets, de fonctions, il fait frémir le grain jusqu’à la chair de poule.
Ses aérolithes, poussières de temps chargées d’images de famille fossilisées sur de petites pierres, susurrent leurs fictions et la fragilité de leur sens. Ces fragments déposés là grain à grain, bourrés de sentiments et de secrets, forment un ensemble qui, par le simple déplacement d’un élément, pourrait basculer en une autre proposition. Nous sommes au cœur du ressac, dans le crissement du flux et du reflux, là où les galets sans cesse se réorganisent en constellations possibles, que seule la photographie peut fixer.
Lionel Fourneaux se retourne, balaie du regard ce qu’il a déjà vu et surtout interroge ce qu’il a déjà fixé sur le papier. Il choisit l’empreinte immémoriale de vagues qui fixe l’éphémère pour évoquer nos rythmes propres et leurs abstractions fondamentales. Il les met en vis-à-vis avec l’ombilic des limbes, raccourci vertigineux devant lequel notre seul recours est de regarder profondément, jusqu’à l’aveuglement. Il inclut dans le cristal de synthèse les galaxies, les nébuleuses, le macrocosme, le microcosme, qui sont suspendus, arrêtés comme le sont ses vagues, ce qui nous renvoie à la surface argentique des photographies et à sa mutité première. Le sujet est une apparence, il est engageant mais insensé. Le monde reste à nommer, seules les formes du langage parlent. L’échographie qui ordinairement bat sur son écran pour nous montrer l’enfant à venir, est ici piégée sous la finesse pelliculée de l’image, figée dans l’infini.
Dans cet univers, le spectateur, par ses déplacements, décide de la carte des constellations. Un pas de plus et le battement régulier de l’écume vous inonde, un décalage latéral et vous vous retrouvez la tête dans les étoiles, un retournement, la famille vous livre ses rituels étranges. Mais qui est donc le démiurge ?
Les images, les blancs, la mémoire, le noir, l’oubli, la vie, associés et organisés selon les règles d’une loi accessible seulement par le frisson du regard partagé, nous ensevelissent dans le silence des photographies. Silence qui, si l’on prend assez de précautions pour l’écouter, nous fera glisser au cœur du caillou, là où il s’ouvre en un abîme de grain de temps.
Le catalogue
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