Ainsi sont les cigales

Les fourmis adorent les cigales. Elles les aiment tellement qu'elles n'hésitent pas, en été, à en faire leur "quatre heure". On comprend mieux alors à quel point est fausse l'image du pauvre petit insecte grelottant, frappant à la porte de la fourmi (sa voisine). La chanteuse de l'été se garderait bien d'approcher la maison de l'une des ses pires ennemies et, pour tout dire, la présence de cigales en plein hiver tient assurément de la fable. Monsieur de La Fontaine, brillant moraliste des cours royale et élémentaire faisait un bien piètre naturaliste.

Quand la bise survient, les cigales sont déjà six pieds sous terre. Les adultes ont rendu l'âme depuis quelques semaines, quant à leur progéniture, elles entament leur lente croissance (plusieurs années) à l'abri du sol, se nourrissant exclusivement de la sève des racines et en aucun cas de "mouche ou de vermisseau". La paisible cigale n'apprécie guère plus la viande d'insecte que la vache ne raffole de celle du mouton. En revanche, ses ennemis ne se comptent plus. Parmi eux on trouve surtout les oiseaux, mais aussi les fourmis, les araignées ou les guêpes.


LA FONTAINE, SICARD, BOULARD


Si la cigale de La Fontaine s'inscrit dans la légende, celles que l'on rencontre à Dunkerque, Anvers ou Copenhague, appartiennent au folklore provençal. On les trouve sur la cheminée du salon, le baromètre de la cuisine ou le compotier du dimanche. La célèbre cigale en céramique est devenue un classique de l'artisanat provençal. Elle rivalise de popularité avec les bien vivantes "cacan" ou "grande cigale", pour ne citer que les plus communes.

Depuis l'Antiquité, des artisans ont confectionné des cigales en terre cuite. C'est dire si le petit animal a inspiré des générations d'artistes, tout autour de la Méditerranée. En 1895, le céramiste d'Aubagne Louis Sicard a créé le modèle en faïence que nous connaissons tous. Cent ans plus tard, son successeur, Raymond Amy, continue à en produire par milliers, de toutes les tailles et pour toutes les bourses. Il a même remis à l'honneur la copie exacte de la cigale d'origine. Mais la concurrence est rude sur le marché des symboles. Les cigales s'importent, s'exportent et s'emportent dans les valises des touristes, souvenirs de Provence que l'on retrouve ainsi aux latitudes les plus septentrionales.

Certaines cigales, paraît-il, se font entendre du côté de Charleville-Mézières. Mais entre légende, folklore et histoire naturelle, comment s'y retrouver ? Aux côtés de La Fontaine et de Sicard, qui peut le mieux évoquer la cigale ? "Ne parlez pas de LA cigale, mais DES cigales. Il en existe 4000 espèces dans le monde dont 16 en France. L'une d'entre elle peut effectivement se rencontrer dans les Ardennes" commente Michel Boulard.

Dans sa maison provençale d'Orange, celui qu'il faut bien présenter comme l'incontournable spécialiste mondial de la question, a installé un véritable laboratoire de sciences naturelles. On y trouve des collections d'insectes, l'ordinateur et surtout des livres, beaucoup de livres. Sur son bureau ont pris place le déjà célèbre Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution de Patrick Tort, auquel il a collaboré, ainsi que de nombreuses thèses et rapports scientifiques. Ici, la (pardon, les...) cigales, sont omniprésentes. De grandes photographies en couleur agrémentent les murs. Il faut dire que notre éminent cicadologue se double aussi un talentueux chasseur d'images. 

Sur la paillasse du labo, entre deux plaques de verre, une larve blanche vit ses derniers jours souterrainsavant de sortir au début de l’été.

La petite bestiole, aveugle, ne cesse de gigoter dans son aquarium de terre. Bientôt, elle deviendra cigale. La terre, en effet, demeure son principal habitat pendant la quasi-totalité de sa vie. Cette existence souterraine est rythmée par plusieurs mues. Le dernier été, les cigales remontent enfin à la surface sous forme de nymphe. En général au bout de quatre ans pour la plupart de nos espèces. Une fois à l'extérieur, elles abandonnent leur carapace après quelques heures et entament leur vie d'adulte. L'été, il suffit d'observer le sol de nos jardins pour repérer facilement les petits trous qu'elles laissent derrière elles.


POURQUOI LES CIGALES CHANTENT


Sur la table de travail du laboratoire de Michel Boulard, telle une sculpture moderne, trône la maquette généreusement agrandie de l'instrument musical d'une cigale.

" Les cigales sont dotées d'un appareil émetteur unique dans le monde animal, explique-t-il, leur chant n'est pas produit par un frottement, d'ailleurs, ce n'est pas à proprement parler un chant puisque la cigale ne dispose pas d'organe vocal. C'est plutôt une cymbalisation". L'instrument musical des cigales fonctionne un peu comme le couvercle de ces petites boîtes de cachous qui s'ouvrent en émettant un "clac" à la moindre pression et se referment sur un simple "clic". "Des contractions musculaires dépriment les cymbales, les côtes et les plaquettes qui composent l'instrument tandis que les relâchement permettent à l'ensemble de reprendre leur forme première. La répétition rapide de ces mouvements (300 à 900 par seconde) provoque le chant caractéristique des cigales".

Par une sorte de mimétisme entre le chercheur et l'objet de son étude, Michel Boulard devient intarissable. Il se lance dans un incessant discours aussi passionné que passionnant. "Le chant des cigales est un appel à l'amour. Chaque espèce possède une cymbalisation qui lui est propre" explique-t-il, rappelant que celle-ci demeure l'apanage exclusif des mâles. 

En Provence, on peut parfois les entendre chanter dès 8 h 30 et jusqu'à 23 h 30 dans les conditions idéales, c'est à dire lorsque la température s'élève à plus de 22°. Le moindre souffle de mistral ou la plus petite pluie les rendent muettes. Mais dès que le soleil revient, la symphonie reprend de plus belle. Il est vrai que la cigale est pressée. Sa vie aérienne ne dure que deux mois. Elle ne dispose que de ces quelques semaines pour assurer sa succession. Il lui faut se nourrir (elle aspire la sève des arbres), séduire et mourir. Les femelles pondent sur une tige. A la fin de l'été, les larves, déjà orphelines se laissent tomber au sol et s'enfouissent entre les racines. 

La bise peut venir, les cigales ne s'en soucient guère.

Article de 1997.


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