Sur les pas d’Honorat

Fondateur du monastère de Lérins, sur l'île qui porte son nom, il a marqué de son empreinte l'Eglise des premiers temps. La tradition a conservé le souvenir d'une vie où se mêlent étroitement l'histoire et la légende.


Amtant vene una loba blanca... «A l'instant vient une louve blanche...» La scène se passe au début du Ve siècle, ou peut-être au IXe, à moins que ce ne soit au XIlle, à l'époque où fut composé par le troubadour Raimond Féraud le poème en provençal contant la vie de saint Honorat... Mais qu' importent les dates au pays des légendes ! Le temps passe, les lieux restent.

La plage d'Agay, à bien des égards, évoque un pays enchanteur. Il n'est pas étonnant que la tradition populaire l'ait choisie pour point de rencontre entre un ermite, Honorat, et une louve blanche chargée de le guider dans le massif de l'Estérel, jusqu'à une grotte où il pourra trouver la paix nécessaire à sa vie de prière. Cette grotte, la Sainte-Baume de l'Estérel, se visite encore de nos jours et fait l'objet, chaque année d'un fervent pèlerinage.


UNE GROTTE DANS L’ESTÉREL


Située sur le flanc du Cap-Roux, la Sainte-Baume a abrité de nombreux ermites. Au XVIle siècle, le frère Laurens Bonhomme y aurait vécu pendant plus de quarante ans. Il disait de son refuge dans l'Estérel : "Quand je retourne à mon désert, il me semble que je vais au Paradis."

Il est vrai qu'à l'image de beaucoup de sites de la région, le massif de l'Estérel, avec ses rocailles rouges, son relief découpé et sa végétation sauvage, ne manque pas de fasciner. L'émotion s'élève à son comble lorsque des sommets, le regard se porte sur la mer. Du Pic de l'Ours, on admire avec bonheur la parfaite union de la Méditerranée et de la roche rouge. On se plait à imaginer Honorat, méditant aux vents du Cap Roux et apercevant au large la splendeur discrète des îles de Lérins... La tradition rapporte que, victime de sa renommée, pressé par les nombreux fidèles, Honorat ne put demeurer bien longtemps à l'abri de son ermitage. Il aurait alors décidé de s'isoler complètement et de s'installer sur l'île la plus éloignée du rivage : Lérina.

L'installation d'Honorat sur l'île n'a pas manqué d'éveiller l'imagination débordante de Raimond Féraud qui, s'il prend de grandes libertés avec l'Histoire, n'en possède pas moins le mérite d'avoir composé l'un des premiers grands poèmes en langue provençale.

Cette "Vida de sant Honorat" tient de la chanson de geste. Le saint (Ve siècle) devient le fils du roi de Hongrie, il côtoie Charlemagne (IXe siècle) et réalise de nombreux prodiges comme l'apparition d'une source qu'il fait jaillir sur l’île, la rendant ainsi habitable.

L'Histoire ne retiendra pas ce poème. Pour la petite, la toute petite histoire, notons que Féraud, moine de Lérins, a aussi son biographe : il s'agit de Jehan de Nostre-Dame, le frère du célèbre Nostradamus. Bref, on ne quitte pas le monde de l'imaginaire...

Point d'à-peu-près en revanche au sein de l'actuelle abbaye de Lérins qui abrite une communauté de moines cisterciens. Les résidents d’aujourd’hui, successeurs d’Honorat, savent faire le tri entre la réalité historique et la légende, avec une rigueur toute scientifique qui n'est pas sans évoquer celle du frère Guillaume, le héros du "Nom de la Rose".

Selon Féraud, à peine installés sur Lérina, Honorat et son compagnon Caprais furent confrontés aux serpents. Leurs prières firent monter les flots jusqu'à ce que l'île soit complètement inondée. La mer se retira ensuite, évacuant les bêtes venimeuses. Pendant ce temps, raconte le poète, les deux moines s'étaient réfugiés au sommet d'un palmier. On imagine tout le pittoresque de la scène! Et pour la source miraculeuse? Une nappe phréatique, bien réelle, dans le sol de l’île, fournit de l’eau à tute la communauté, rien que de très banal…


LA BIBLE DES HISTORIENS


Dieu merci ! L'Histoire connaît la vie d'Honorat dans ses grandes lignes grâce un autre récit, celui de son contemporain Hilaire, l'évêque qui lui a succédé en Arles. Composée un an après la mort du saint, cette biographie constitue une véritable bible pour les historiens de Lérins.

Honorat serait né à Trêves vers 380, dans une famille païenne. Son père, fonctionnaire d'un Empire romain en pleine décadence ne pouvait s'opposer à la conversion de son fils. Dès sa jeunesse, Honorat décida de se faire ermite. Avec son frère Vénantius et leur mentor Caprais, ils s'embarquèrent à Marseille pour la Grèce afin de s'initier à la vie érémitique. Là, Honorat a eu la douleur de perdre son frère. De retour en Gaule, il s'installa sur une île, dans un désert proche de l'évêché de Léonce à Fréjus. Point de grotte du Cap-Roux dans le récit historique mais qu'importe, puisque la tradition demeure !

Sur Lérina, il fonda son monastère, vraisemblablement vers 400. Dix ou quinze ans après la fondation par saint Martin, du premier monastère "français" à Ligugé, près de Poitiers, et quelques années avant celle de Saint-Victor à Marseille par saint Cassien.

De la personnalité d'Honorat, on ne sait que ce que nous apprend Hilaire dans son panégyrique. Rien d'étonnant à ce qu'il nous présente un homme saint, bon, travailleur jusqu'à l'épuisement, attentif aux autres, vivant dans le plus complet dénuement.

Lorsque le siège épiscopal d'Arles devint vacant, Honorat, modèle de toutes les vertus, fut plébiscité par la population de la cité qui le connaissait de réputation. Honorat fut donc appelé à quitter son île pour veiller sur les fidèles arlésiens. C'est dans cette ville qu'il mourrut pendant son sommeil, vraisemblablement en 430.

Sur les pas d'Honorat, de nombreux moines, souvent issus de l'aristocratie gallo-romaine vinrent s'installer à Lérins. Jusqu'au Vlle siècle, le monastère demeura l'un des grands centres intellectuels du sud-est. Hilaire et Cézaire, évêques d'Arles ; Euscher, de Lyon et Fauste, de Riez y reçurent leur formation. Le célèbre saint Patrick, patron de l'Irlande aurait peut-être, lui aussi, séjourné dans l'île, mais nous retrouvons ici la petite histoire.

En fondant Lérins, saint Honorat a beaucoup apporté à l'histoire intellectuelle de notre région. Il nous laisse aujourd'hui une petite île de Méditerranée qui porte son nom.

À quelques encablures de Saint-Honorat, une île plus vaste chargée elle aussi d'Histoire et de légendes passe pour avoir abrité la soeur d'Honorat, Sainte-Marguerite mais cela est une autre histoire. Pardon une autre légende...

Illustration : massif de l’Estérel, le Cap Roux.

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