Tintin 

et les petits hommes verts

En 1995, Michel Mayor et Didier Queloz découvraient la première exoplanète en observant l’étoile 51 Pégase depuis la grande coupole de l’observatoire de Haute-Provence. Dix ans plus tard, dans les colonnes du livre Mémoires du quotidien, publié à l’initiative du Club de la Presse Marseille Provence, je contais comment, en tant que journaliste, j’avais vécu cette découverte.

Les deux chercheurs ont reçu le prix Nobel de physique… en 2019.


Heureux Tintin! Heureux petit reporter libre comme l’air! Pouvait-on imaginer un journalisme sans rédac-chef, sans article à écrire, sans heure de bouclage, avec pour unique motivation le goût de l’aventure? Eh bien Hergé l’a fait. 

Ma vocation est peut-être née en suivant la ligne claire de ce journalisme imaginaire. Pourtant, très tôt dans le métier, dans l’austère quotidien d’un Nord laborieux, la réalité d’une profession m’est apparue dans toute sa diversité. Alors si je dois n’emporter qu’un souvenir (1), à l’instar de mes confrères méridionaux, je préfère choisir une expérience provençale vécue sous le ciel que l’on croit volontiers le plus pur de France. 

Ce reportage inattendu m’a réellement plongé dans l’univers du héros de notre jeunesse. D’ailleurs, histoire d’accrocher le lecteur, j’aurais pu titrer ce papier «Tintin et les nuits d’Elodie», un beau programme pour une île déserte avec ses promesses de mystère, d’action, de passion et son parfum de femme… Mais reconnaissez que de ce côté-là, le reporter à la culotte de golf demeure un mystère aussi opaque que le secret la Licorne. Alors, oublions les fantasmes et rejoignons le monde des rêves étoilés. Elodie est une star de la nuit. Bien plus, elle sait se montrer capable de convertir de vieux songes en palpable réalité. 

C’est ce qui est arrivé ce jour-là de 1995. La petite nouvelle, venue de si loin, est tombée banalement, comme une brève annonçant la fin d’une guerre mondiale au bon temps des télescripteurs. Un coup de fil à la rédaction du magazine de la plus belle région de France m’a téléporté dans un album de Tintin, parachuté sur l’étoile mystérieuse.

On avait fait une découverte: non pas le scoop du siècle mais l’événement astronomique le plus important depuis Galilée, la clé d’un mystère plusieurs fois millénaire! Et Elodie, me direz-vous? Patience, j’y arrive. J’avais son chef au téléphone, le patron de l’observatoire. Je ne connaissais pas son visage mais c’était sûr, il ressemblait trait pour trait au savant chauve-chevelu croqué par Hergé. Il fallait s’en méfier. Vérifions. L’AFP avait sans doute déjà fait le travail. L’info devait être largement diffusée… Mais non. C’était confidentiel.

«Vous comprenez, Elodie a reçu une subvention de la collectivité territoriale, expliquait l’honnête savant, il est normal que vous soyez les premiers à apprendre la nouvelle». 

Rendez-vous était donc pris avec Elodie, pour un papier magazine, dans les sous-sols de la grande coupole de Saint-Michel. Hélas, je n’ai rencontré qu’une machine, même pas androïde. Elodie était un nom d’emprunt pour un système électronique capable de déshabiller les étoiles rien qu’en les regardant la nuit au téléobjectif. 

Deux astronomes suisses campaient sous la coupole et profitaient de ce spectacle de paparazzi.A l’affût depuis des mois, ils avaient repéré dans la constellation de Pégase une étoile au comportement équivoque. Elle portait le numéro 51. Leur programme informatique ne la quittait plus d’une seconde. 

Aucun risque qu’une secte de dingues ne profite de la moindre élévation de température pour annoncer l’apocalypse car le secret avait été bien gardé. Les astronomes avaient réalisé leur rêve en rendant le vieux télescope complice des manœuvres d’Elodie. La machine avait ainsi pu dévoiler le mystère de l’étoile, une star inaccessible de 42 années lumières qui cachait sous son spectre la première planète jamais découverte hors du système solaire. Pour les savants, c’était fondamental. Puisque d’autres mondes existaient, ils pouvaient dès lors partir sans honte à l’aventure, comme Tintin reporter, à la recherche des petits hommes verts. 

Illustration : grand télescope de l’observatoire de Haute-Provence.




BIBLIOGRAPHIE

Ce texte a été publié dans l’ouvrage Mémoires du quotidien, écrits et images du sud, EncrageEdition, 2006.