Hervé This
Physico-chimiste
(1)Il existe plusieurs associations «Terre de Sienne» à Marseille. Celle dont il s’agit ici a été créée à l’initiative d’enseignants du collège Saint-Mauront.
La cuisine a disparu de l’enseignement général après la Seconde Guerre mondiale. Etonnant, pour un pays qui se targue d’être celui de la gastronomie, mais pas anormal : tant que la cuisine n’est que la mise en œuvre de protocoles prescrits sans réflexion, elle n’a pas sa place dans un cursus qui vise à transmettre de la méthode. Car la cuisine actuelle, née de l’empirisme, est-elle " optimale " ? Artistiquement, oui : l’art est ce qu’il est, né de son époque. Mais la technique ? Nous cuisinons comme au Moyen-âge alors que nous envoyons des sondes vers Mars, et il semble cohérent de perfectionner la technique avant de la transmettre, sous peine de pérenniser de l’obscurantisme. En effet, nous continuons à employer des fouets sans chercher à les améliorer, à gâcher jusqu’à 80 % de l’énergie utilisée pour chauffer les casseroles, alors que des conférences internationales se préoccupent du réchauffement du climat.
La science, elle, ne s’introduit que très lentement dans l’école, notamment parce qu’elle n’est pas considérée comme une connaissance aussi fondamentale que le calcul, la lecture ou l’écriture. Pourtant, notre monde n’est que technologie : ordinateurs, téléphones, téléviseurs, automobiles… Les enfants vivent ainsi une scolarité un peu schizophrène, entre le monde de l’école, et la " vraie vie ". Nous avons besoin de connaissances scientifiques pour vivre en citoyens armés pour gérer la technologie, faire les choix civiques essentiels (sur les OGM, le clonage, le nucléaire) et rester autonomes.
Le double constat précédent incite à penser que la cuisine, activité essentielle de l’être humain sans la pratique de laquelle nous sommes réduits à être les acheteurs de plats préparés, doit s’introduire à l’école sous une forme rénovée. Comme cette " nouvelle cuisine " (nouvelle du point de vue technique) reconnaît que la technique culinaire met en œuvre des transformations physiques et chimiques, quelle autre solution que sa mise en œuvre conjointe avec les sciences, qui trouvent ainsi la porte d’entrée naturelle qu’elles n’avaient pas ?
C’est l’objectif des Ateliers expérimentaux du goût, introduits en 2000 dans le cadre des " Classes à projet artistique et culturel", et développés depuis dans de nombreuses académies. Il s’agit d’activités telles que la confection d’un blanc d’œuf battu en neige. Non pas, pour réaliser un blanc en neige, mais pour que les enfants découvrent, lors d’activités expérimentales peu coûteuses, pourquoi le blanc en neige est blanc, pourquoi il est ferme, alors que l’air et le blanc d’œuf sont respectivement gazeux et liquide, et pourquoi (comment aussi) on peut produire un mètre cube de blanc en neige avec un seul blanc d’œuf.
Quel enjeu ! Quels citoyens deviendront ces enfants qui en savent plus que leurs parents ? L’expérience pédagogique est merveilleuse. J’ai hâte d’être dans vingt ans.
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Blanc en neige au début du battage avant ajout d’huile pour «mayonnaise au blanc d’oeuf»